« Je vis un multi-deuil »

Traverser un processus de deuil n’est pas une étape facile. Comment faire quand les deuils se chevauchent et nous tombent dessus en même temps ? Elisa raconte son expérience.

Publié en
April
2024
Mis à jour en
May
2024
Par
Elisa Wallon
Récit
temps de lecture :
7 min
Sommaire
« Je vis un multi-deuil »
Crédit photo : 
© Mike Labrum

Elisa

Le deuil ne se « fait » pas, il est un processus à l’œuvre. Un processus qui traverse plusieurs phases qui parfois se mêlent, s’entremêlent. S’essoufflent, puis reprennent. Certaines phases comme celle du choc se traversent parfois en un quart de seconde, d’autres comme la colère ou la lassitude prendront des jours, des mois, des années… Certaines phases seront passées pour de bon quand d’autres reviendront. C’est ça, le processus de deuil. Des fluctuations émotionnelles plus ou moins agréables au quotidien. Mais comme la tempête, comme la mer déchaînée, tout finit par passer. Arrivera alors la phase d’acceptation.

Montagnes russes

Le 3 octobre 2023, je me prélasse heureuse et amoureuse sur le sable blanc d’une île des Tuamotu quand j’apprends le départ de ma grand-mère, Claude, une femme exceptionnelle qui compte énormément pour moi. Il m’est alors difficile de prendre conscience de la réalité à des milliers de kilomètres. Je me sens loin. Elle est partie la nuit dernière, au moment même où, à l’autre bout du globe, je disais un grand « oui » à l’homme que j’aime qui me demandait ma main. Elle est partie sans savoir, et pourtant je sais au fond de moi que c’était sa façon à elle de nous transmettre ses vœux de bonheur.

Trois jours passent avant que je découvre que nous n’étions plus tout seuls, j’étais enceinte. Décidément, ça fait beaucoup d’émotions en très peu de jours. Tout se bouscule. Une fois rentrée en France, juste à temps pour la cérémonie, la vie reprend. Il faut continuer, avancer.

Trois semaines plus tard, j’apprends que je fais une grossesse extra-utérine. La vie que je croyais donner suite à la mort de Mamie ne sera pas. C’est chamboulant. Difficile à accepter, dans le corps et dans le cœur. Il faut continuer, avancer.

Arrive le 24 décembre, ma belle-mère est admise aux urgences de Saint-Nazaire pour insuffisance respiratoire suite à un cancer des poumons ; le lendemain, elle sera transférée directement au service de soins palliatifs. Nous passerons la semaine du 25 au 29 décembre à son chevet, en huis clos, mari, fille, fils et belles-filles. Réunis, unis. Pour l’accompagner jusqu’à son dernier souffle, elle qui n’en n’avait plus. Encore un départ. Encore un deuil. Encore du soutien à apporter. Encore de la force à puiser dans une source déjà tarie. Il faut continuer, avancer.

J’ai beaucoup pleuré le 7 février dernier en racontant à la psy les événements qui se sont enchaînés ce dernier trimestre. Je voulais continuer, avancer. Faire table rase. Elle m’a dit : « On ne fera pas table rase. Ce qui s’est passé est très rare, autant d’événements douloureux, en si peu de temps, ce n’est pas normal. Mais maintenant, ils sont votre histoire. Vous vivez un multi-deuil et cela fait désormais partie de qui vous êtes. »

Le temps comme allié

La notion du temps. J’ai envie d’aller mieux, là tout de suite. Ça ne fonctionne pas comme ça. Il faut du temps. Laisser le temps faire son travail. Lorsque l’on se blesse physiquement, une plaie assez vive, facile à recoudre, c’est ok. Puis, une nouvelle coupure, exactement au même endroit, celle-ci plus profonde, et qui s’infecte… C’est plus long. Mince, encore une blessure qui vient par-dessus… La plaie devient difficile à guérir. Alors, même si on voudrait que ça cicatrise vite, voire qu’on ne voit même plus la cicatrice, ça n’est pas possible. Il nous faudra prendre soin de la plaie, désinfecter, passer du baume, vérifier qu’elle ne suinte pas… Accepter le temps qu’il faudra pour que la cicatrice soit la plus discrète possible. Mais elle sera là.

Pour les blessures émotionnelles, de l’âme et du cœur, finalement c’est pareil. Et la cicatrice restera, car cette tranche de vie fait désormais partie de notre histoire.

Ritualiser pour mieux accepter

Lorsque l’on perd quelqu’un, il y a la cérémonie, la crémation ou l’enterrement. Et lorsque l’on perd quelqu’un qui n’a pas encore été ? Les grossesses extra-utérines, les fausses couches, sont parfois des étapes aussi douloureuses que la perte d’un proche. Mais elles sont trop souvent passées sous silence. Et si on ritualisait ce deuil invisible ? Quand on fait une grossesse extra-utérine, c’est un deuil, je l’ai enfin compris. En fonction de l’histoire de chacun·e, on a pu avoir le temps de se projeter, de s’imaginer, de nommer… Tout ça n’aura pas lieu, tout ça n’existera pas. Créer sa propre cérémonie d’adieu a du sens. Seul·e ou en couple, peu importe. Faire le point sur toutes les projections, accepter, dire adieu. Le rituel peut prendre la forme de notre choix, tant que cela nous ressemble et a du sens pour nous.

De l’importance de s’écouter

Lorsque l’on vit un deuil multiple, les phases s’entrechoquent régulièrement. Il est primordial de s’écouter. Indispensable de se faire du bien au moment où on en ressent le besoin. Savoir écourter un rendez-vous qui ne nous soutient pas ou nous rend triste. S’autoriser à annuler, à dire non. S’accorder du temps de repos quand la fatigue et la lassitude prennent le dessus. Observer son sommeil est-il réparateur ? Comment je l’améliore ? Expliquer à ses amies pourquoi on n’a pas envie de les rejoindre ce samedi soir… Un tas de détails et d’observations du quotidien qui nous invitent à vivre en conscience de nos sensations et de l’impermanence des choses pour mieux répondre à nos besoins.

Je ne peux pas toujours aller bien et c’est ok. « Pour accepter d'être consolé, il faut accepter d'être aussi démuni et fragile qu'un enfant, il faut quitter ses habits de grand, ses manières d'adulte, son costume de puissance, son masque de force, ses certitudes », écrit le psychiatre Christophe André 1.

Se laisser porter, c’est ça, accepter sa vulnérabilité et se demander : quelles sont mes ressources ? Qui sont mes piliers de soutenance ? Je ne peux pas porter tout le monde, qui me porte moi ?

Ces énergies entre vie et mort sont bien là, qui planent au-dessus de ma tête. Et moi qui essayais jusque-là de garder en ligne de mire la bonne nouvelle : notre mariage ! Ma psychologue conclut notre séance de manière anecdotique : « Vous savez que le mariage aussi fait partie des deuils ? » Il invite à accepter la fin de son célibat, la fin d’une certaine façon de vivre. Heureusement, mon humour ne s’est pas éteint avec les événements. Je suis bien en plein processus de multi-deuil.

1 Christophe André est l’auteur de « Consolations : celles que l’on reçoit et celles que l’on donne » (L’Iconoclaste).

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